Le procès de Hans Litten
Le procès de Hans Litten de Mark Hayhurst au Staatstheater de Nuremberg en 2016

2016

Le procès de Hans Litten

Mark Hayhurst

Staatstheater Nuremberg

Se confronter au « théâtre documentaire » et en mesurer les limites.

  • Décor : Rudy Sabounghi
  • Costumes : Rudy Sabounghi
  • Dramaturgie : Horst Busch
  • Musique : Bettina Ostermeier
  • Assistanat : Markus Hoppe
  • Distribution : Patricia Litten, Philipp Weigand et six comédiens

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LA PASSION SELON IRMGARD LITTEN

 

Si j’avais eu le choix du titre de la version allemande de « TAKEN AT MIDNIGHT » de Mark Hayhurst c’est celui que j’aurais choisi… En effet, bien que cette nouvelle pièce soit anglaise, la référence à la culture luthérienne est telle dans la forme et le fond qu’on ne peut y demeurer indifférent. L’alternance de récits de la passion de Hans Litten avec des scènes le mettant en scène dans ses différentes geôles rappelle celle des « passions » baroques, de Schütz à Bach, entre l’évangéliste et les protagonistes du récit biblique. On peut même imaginer (et espérer) que ce qui constitue le choral traditionnel sera constitué par l’écoute silencieuse et subjuguée de la communauté des spectateurs qui (re)découvrira avec effroi l’histoire du jeune martyr communiste que fut Hans Litten.

La grande différence est qu’ici l’évangéliste est « à vif », puisque la propre mère du martyr porte l’ensemble du récit. Et puis, faut-il rappeler que ce récit n’a rien de religieux, qu’il est même profondément agnostique ? Il n’y a pas de monde meilleur dans l’au-delà, ni pour Hans, ni pour Erich Mühsam, ni pour Carl von Ossietzky (les deux comparses plus âgés incarcérés avec lui), ni pour Irmgard Litten…Pourtant il se dégage de l’ensemble de la pièce une curieuse sensation de « grâce ». Cela vient d’abord du fait que Mark Hayhurst a évité tout pathétique. Les trois martyrs jouent même d’un humour cinglant et de la satire pour s’aider à supporter le terrible sort qui leur est fait. Quand au personnage de Irmgard, elle agit, raconte, court à travers l’Allemagne pour tenter de sauver son fils ainée, mais jamais elle ne s’abandonne à la sentimentalité, à peine aux larmes lors des moments d’épuisement. Mais est-elle jamais épuisée, voire même fatiguée, portée qu’elle est par la colère et l’amour ? Ainsi elle avance, droite, sévère et sûre, vers son destin.

Le destin sera fatal à Hans, il ne pouvait en être autrement, Hitler avait décidé de le broyer. Pourtant la fin de la pièce se refuse encore au pathos. Comme dans toute « passion » il y a dans « TAKEN AT MIDNIGHT » une démonstration de la valeur du courage et de la fermeté. Ce sont bien sûr les deux mots que nous devons retenir et qui guideront tout notre travail. A un moment où de part et d’autre du Rhin un chef d’état revendique le droit d’asile pour les réfugiés (au grand dam d’une partie de la population) pendant que l’autre réduit l’état de droit (à la honte d’une partie de la population), il est urgent de se réinterroger sur le destin de ceux qui se sont opposés à la falsification de l’état de droit et ont payé de leur vie la réduction des libertés fondamentales dans l’Europe des années dix-neuf-cent-trente.

Je suis fier que le Schauspielhaus de Nuremberg m’ait confié la création de la pièce en Allemagne, j’y vois à mon tour un signe du destin… Je pense à mon père qui m’a élevé (alors qu’il y avait été retenu cinq ans en captivité) dans la passion de l’Allemagne et de la fraternité entre nos deux pays. Lorsque j’avais six ans, il m’a emmené devant les fours crématoires de Dachau, juste là où Hans Litten s’était suicidé quinze ans auparavant. Il m’a montré les trous noirs des fours béants et m’a dit : « Ce ne sont pas des allemands qui ont fait ça, ce sont des nazis ». Je crois que s’il était encore vivant mon père serait effrayé de ce que l’Europe est devenue… 

 

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